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La Route du Crabe
29 septembre 2016

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> Je m'étais promis de repenser à Aylan qui s'était noyé il y a plus d'un an dans les eaux d'ici avant d'être déposé par les courants sur la plage au sud de Gümüşlük. J'ai oublié de le faire à temps pris par mes préoccupations de vacancier éhonté. Le dégoût que ce souvenir aurait fait surgir n'était sans doute pas compatible avec ce que je voulais vivre en famille. Je regrette amèrement cet oubli. Il m'aurait fallu juste deux secondes sur ce balcon pour rendre mémoire à ce petit Syrien. Juste deux secondes pour ne plus incarner ce que nous sommes le mieux : des monstres d'égoïsme. <

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28 septembre 2016

Une soirée à Bodrum*

> Au contraire de certains, j'aurais mis du temps à découvrir Bodrum, la jumelle des villes grecques avoisinnantes : blanches constructions autour d'une rade aux bleux intenses soumise au vent. L'endroit a tout pour satisfaire le vacancier agité et urbain. La tranquilité n'est pas une préoccupation qu'on approfondit ici et l'idée du site est plutôt de satisfaire complètement le passant : des magnifiques yachts, des terrasses sur les plages, des restaurants ou des bars ayant presque tous vus sur mer, des rues commerçantes, des agences de location de voiture, des excursions dans les environs, des boutiques folkloriques ou distinguées. En Turquie comme ailleurs, le balnéaire rime avec "à faire". Tout est supportable en cette période malgré tout, et le charme se niche toujours quelque part ici : de Gümüşlük à la baie de Mazıköy, dans la presqu'île de Yalıkavak ou dans les panoramas qu'offre Bodrum.

Encore une fois, en raison d'un vieillissement sûrement, je retrouve des sensations de mon enfance estivale espagnole (la vieillesse puise dans l'enfouissement des choses). Des odeurs végétales surtout, surgissent des souvenirs flous, dilués ou précis. Les bruits du soir... lorsque les enfants trainent encore à des heures que nous ne permettrions pas en France, lorsque les musiques s'échappent au loin des bars ou clubs.

Cigarette après cigarette, grappe de raisin à même portée de main qu'un verre de rakı, je relâche mes nerfs et mes anxiétés depuis le balcon. J'apprends à nouveau à respirer après cette pneumonie qui m'a montré les conséquences d'une année mal supportée. Des lumières se balancent depuis les mâts lointains. Les moteurs des pêcheurs ronronnent de temps à autre. Les grognements des duels entre chiens ou chats fendent parfois le partiel silence de la nuit. Si je devine des voix, elles m'échappent car elles sont turques et cela ajoute à mom impression d'être enfin bien nul part. Chaque soir sur ce balcon, je me ferai ce même constat. <

26 septembre 2016

Une nuit dans le ciel

> Pendant que le boeing fend l'obscurité tombée bien avant notre départ, j'observe les traits fins et fatigués de mon fils. Il tardera pas à sombrer après sa partie de rigolade dans le jetway et avec les passagers. Je ne prends plus le temps comme avant de deviner parmi les lumières minuscules qui jonchent le sol ces communautés qu'on ne découvrira jamais, certaines dont on ne sait pas comment elles se sont implantées dans autant de noirceur. Moi aussi finalement, je me sens envahi par une somnolence réconfortante après l'agitation du départ. Les uniformes de la compagnie ont changé ; N. retrouve une collègue avec qui elle partage une boisson chaude au fond de la carlingue. Je viens de m'endormir malgré le ronronnement puissant de l'avion. La nuit se passe au-dessus des populations endormies de la Méditerranée. Bientôt, nous arrivons dans un nouvel aéroport que je n'avais jamais parcouru. Les yeux dans le vague, M. dans les bras ; nous récupérons nos lourdes affaires pour rejoindre une Renault Symbol blanche réservée entre Rennes et Nantes. La fraîcheur ambiante et le vent nous saisissent. Il faut prendre de l'essence, puis une route inconnue, rentrer dans une ville inconnue, rejoindre un hôtel à peu près localisé. Les néons du Halikarnas — fameuse institution de la nuit turque — éclairent notre dernier virage. Il est temps de se reposer avant l'aube égéenne. <

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