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La Route du Crabe
9 novembre 2011

İstanbul (otogar)

> J’ai une nouvelle vision de la fourmillante mégalopole : Beşiktaş, à quelques enjambées de Taksim. On s’échappe furtivement de l’appartement de Cihat, la femme de ménage nous fait un sourire, qui m’a semblé bien sincère. L’ascenseur sans grille nous avale une dernière fois, ses dix touches à diode rouge, sa vétusté qui le fait s’arrêter entre deux étages quand il monte. Au moment de laisser la lourde porte en fer se claquer, je revois le portrait photographique édité des centaines de fois d’Atatürk. Le taxi illégal est là, le type sort nonchalamment, prend la valise de N., je pose mon sac dans son coffre. Je me fous devant et on part en direction du nord de la Corne d’Or et je découvre une avenue pentue que je n’avais jamais localisée. Elle me semble large, habitée de grands arbres et parées de boutiques de chaque côté. Des files de voitures garées, plusieurs décrochent et s’insèrent justement dans la vôtre. N. a discuté deux ou trois fois, il a répondu. Et le Bosphore nous avale lui aussi quand on redescend vers le quartier de Beşiktaş pour à peine 20 YTL. La visite éclair permet un dernier petit-déjeuner dans une rue piétonne aux accents inconnus. Les façades aux ravalements plutôt récents sont escaladées par des escaliers en colimaçon de différentes couleurs, mais toujours bien associées. Le sachet d’arachides enrobées acheté vingt mètre plus tôt ne peut suffire, on a super faim. Kurulus 1895 : d’abord les sourires d’une grand-mère qui nettoie ce bout de table carrée, ensuite l’hospitalité simple et pure du grand-père. Il se remémore les formules de politesse française à mesure qu’il sert, qu’il débarrasse, qu’il ressert et qu’il rend la monnaie. A côté, nous pivotons au niveau des halles aussi charmantes que « design » sous une dentelle de verdure et nous optons pour un dernier café turc. L’endroit que je découvre à ce moment précis me rappelle Kadiköy quand je l’ai quitté pour le même aéroport, une affection toute similaire. On revoit Simge dans sa nouvelle vie – douce piqûre de rappel un an et demi plus tard –, dans son nouvel appartement, parquet clair au sol, salon positionné vers le mur vitré. Juste le temps de se dire qu’on aurait bien fait une soirée ici, un taxi nous mange et nous monte à Taksim. On attend la navette à plusieurs, le trafic est intense et l’heure tourne. N. reçoit un appel lui disant que son père a un problème de santé, qu’il est à l’hôpital, mais que ça va quand même. Un taxi nous propose de faire la course, ce sera le même prix si on est quatre, et ce sera plus rapide. En effet, je sors de cette bagnole assez vite pour ne pas être obligé de dire « stop ». Le chauffeur a foutu un putain de parfum à je ne sais quelle épice qui me donne envie de tousser et chauffe ma tête. N. reprend demain son job de « marketing manager ».

Je me retrouve seul sans être sûr d’avoir dit ce qu’il fallait dire. Le couteau récupéré auprès du policier  hyper-compréhensif de l’aéroport, le sac sur l’épaule, je pars en direction du sous-sol (métro YusufPaşa) et retourne à l’air libre de la nuit (tramway Sultanahmet) pour un dernier clin d’œil à Eminönü qui aura marqué ma vie depuis l’année 2007. Le petit bar à thé en fond de cour  a disparu, le truc à touriste qui ne le faisait pas. La ville s’est incroyablement vidée depuis hier, fin des vacances oblige. Je prends le temps entre la bosse et le fleuve, il traîne quelques personnes comme moi, inoccupées, errantes. Je reprend les rues inquiétantes du bazaar quand la nuit venue, les rayons de la lune ont peine à atteindre le sol et que chaque ombre peut être suspectée d’être un démon, un vieux ou un travailleur. Je cherche un endroit pour manger, hésite à côté des vendeurs ambulants et en profite pour mémoriser les illuminations réciproques entre l’eau et la ville. La grande mosquée que les fumées des grillades voilent parce que chaque jour depuis des millénaires, le vent de la mer souffle dans ce sens. Il est 23h00, ma première nuit dans un bus en direction de Safranbolu commence maintenant. Quarante minutes plus tard, je suis toujours à İstanbul. Les gratte-ciels modernes sont les sièges de fameuses enseignes internationales et locales, des allures aussi has been que celles de La Défense. Sans rien capter ou même localiser de la zone où le bus nous embarque (en face de Yalova, sans doute), on devine des centres commerciaux énormes, des gigantesques mosquées en construction – la foi côtoie la contemporanéité ici, dans d’autres pays elle est patrimoniale –, des tours de palais illuminés de néons. Tout cela en bordure d’un port industriel, rempli de containers qui seront vidés par les camions remorques en faction.  İstanbul est énorme. Son trafic incessant est un combat permanent de fréquences de rouge et jaune contre néons multicolores de boutiques et projecteurs pâles de minarets. Quelques heures plus tard, j’ai corrigé mon point de vue : je me retrouve seul en étant sûr de ne pas avoir dit ce qu’il fallait dire.  <

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