Publicité
La Route du Crabe
15 novembre 2011

Doğubeyazıt

> Je suis posé dans le premier hôtel croisé et mentionné sur le Guide. Il est minable, ne coûte que 20 YTL certes,  mais j'aurais préféré une chambre avec spa, un lit « king size » et un bar rempli. Les murs qui s'effritent emportent par morceau la couche de peinture jaunasse, la salle d'eau est sordide et pour le moment, il n'y a pas d'électricité. En tirant la porte d’entrée de l’hôtel dont la fermeture rapide est assurée par l'installation d'un ressort, je me suis retrouvé dans un hall obscur malgré la luminosité extérieure, une télévision allumée pour quatre vieux, un escalier en bois recouvert d'une moquette autrefois sûrement plus étincelante. Une faille temporelle m'a fait croire qu'il était 17h00 alors que je voyais pourtant le soleil bien haut. Mon téléphone a proposé un changement d'heure automatique, j'imagine que nous sommes proche d'un nouveau fuseau horaire.

La rudesse du territoire se ressent partout. Mais les habitants sont toujours sympathiques à mon égard. On use moins du merhaba habituel, la religion s’est plus appesantie ici. La ville de prime abord n'est pas attrayante : « une bourgade poussiéreuse acculée près de la frontière iranienne ». Il fait environ -7°C ce soir et pas plus de 4°C à midi. Les trottoirs sont gelés, les salons sont équipés de poêle central, on y consomme plus souvent du thé, on fume à l'intérieur. Repartir demain après mon excursion semble encore une affaire bien compliquée. Je sens le poids de l'environnement. La mer Noire était grise, immobile et morte, le trait de côte occupé par la route et seul l'horizon faisait rêver aux pays là-bas (Géorgie, Russie, Ukraine, Roumanie) ; les reliefs sont imposants, pas aiguës comme les montagnes françaises, mais surdimensionnés et étendus, chaîne après chaîne tout autour ; les maisons finies sont misérables ; les immeubles ne seront jamais fignolés. Je crois que je me fragilise en vieillissant, ou alors la solitude pèse plus dans le froid que dans la chaleur.

Doğubeyazıt s'est apparemment endormie vers 20h00. Auparavant, le quartier a été plongé dans le noir à cause d'une interruption du courant électrique. Puis, la vague noire s'est déplacée un peu plus loin. Je comprends maintenant la présence des petits groupes électrogènes devant certaines vitrines. Vers 17h00, cette obscurité renforcée et la froideur supposent une vie bien différente de chez moi : il est difficile de trouver un restaurant ouvert pour se sustenter ou une sorte de bar. Mais le choix fut le bon : je m'offre un pide sans pareil, un ayran fait maison en discutant avec le propriétaire et ses employés. La télévision est allumée pour le football. Je file vers mon hôtel par la rue principale en phase de dallage que je commence à connaître assez bien. Elle est déserte. Demain, je me lève tôt pour atteindre un promontoire qui me fera découvrir ce que je cherche depuis si longtemps. Après, je ne dois pas rater la seule possibilité du retour vers l'ouest.

Longue pause dans cet hôtel qui fut jadis, sans doute, quelque chose de bien. J’ai deux bouteilles d’Efes bien fraîches. La télévision est à vomir. Dehors un café pond des infrabasses, je reconnais Stromae dans une version remixée, ça doit faire fureur en Turquie. Le pays aime viscéralement l'electronica ! La télévision balance les mêmes images voyeuristes d'actualités chaque heure sur chaque canal, en répétition. Un terroriste du PKK a été localisé et mis hors d'état de nuire, un séisme a retouché Van à deux heures et demi d'ici, quelques Syriens ont brûlés des drapeaux turcs. L'Est est-il une vraie poudrière. A 35 kilomètres, c'est l'Iran. Cette nuit jusqu'à ce matin, j'étais au bord de l'Arménie et au sud-ouest on trouve la concentration revendicatrice kurde de Diyarbakır, sous laquelle à quelques centaines de kilomètres, la Syrie jouxte l'Irak. La zone de naissance de l'Euphrate et du Tibre, Erzurum, rapidement traversée, est pourtant une aire historique de brassage et de melting-pot. Que s'est-il passé depuis le moment où des peuples tous différents se croisaient sur cette route de la soie et le moment où la chrétienté fécondait en pleine terre anatolienne ? Le sens de nos siècles est-il vraiment de se séparer, de se différencier et de prédominer, d'édifier nos propres croyances contre celles des voisins, de répandre nos us sous couvert de modernité ou de mondialisation inéluctable, mais pourquoi lutter contre sa propre envie d'aimer ce qui est ailleurs ? La télévision constate, zoome sur les corps, les drapeaux et amplifie les témoignages à chaud. Elle ne nous éclaire pas sur notre monde et ne donne pas de clés pour le comprendre, seulement des motifs de réaction. <

asm2

asm2

Publicité
15 novembre 2011

En Anatolie orientale

> 14 heures de route, si je calcule bien. J'ai traversé une zone de montagnes magnifiques où la neige qui nous cernait de part et d’autre de la route marquait chaque sommet à la faveur de la lune. Partis à minuit, nous avons lâché des compagnons sur le sol givré de l’otogar d’Erzurum, cette terre d’où coulent le Tigre et l’Euphrate. Le deuxième délestage massif a eu lieu à Kars, détour pour moi de quatre heures seulement, mais voie directe pour les jeunes engagés destinés à garnir ce poste avancé près de l'Arménie. Entre Erzurum et Kars, nous filions sur un plateau de 300 kilomètres de long à environ 2000 mètres d’altitude. Pour arriver à Kars, j'estime qu'on a encore gravi une chaîne au pied du Petit Caucase  avant de redescendre sur Iğdır. Paysage désertique quelquefois animé de troupeaux de moutons, de bourgades sans aucune autre saveur que l'authenticité et la simplicité. Chaîne à l'horizon bien haute et si large que je ne réussis pas à me référer à nos Alpes, vallons caillouteux ocre et noir. Une vie est ici, la profonde réalité de la Turquie de l'Est. Qu'importe que vous soyez Azéri chiite, Kurde sunnite ou simplement Turc, la nature est de la même rudesse pour tous. Pas vraiment de quoi attirer les foules touristiques à cette saison. Ma présence surprend. <

asm2

49726060

14 novembre 2011

Le lac d’Üzüngol

> Sous un ciel brillant, bleu clair, je file en dolmuş  vers le haut de Doğu Karadeniz Dağları, la chaîne pontique. Excursion dans les hauteurs et précisément à Üzüngol conseillé par N l’année dernière. J’observe à travers les vitres la rudesse de la vie des femmes qui portent le bois, préparent la cuisine. Le voile est davantage présent. Cette petite pause dans le village nous dégourdit les jambes : les gens s’attardent aux tables des cafés, les enfants sortent de l’école en uniforme, je regarde tout cela en fumant ma cigarette. Tout autour les reliefs cachent l’horizon.

La station est bien différente des publicités que j’ai zyeutées dans les vitrines et les magazines. La neige a recouvert mes attendus. Le lac calme s’étend entre trois versants de montagnes. La mosquée se détache à peine du fond pâle qui l’environne. Le ciel est heureusement bien dégagé. Mes deux épaisseurs de pull, mon cuir dont se moquent tant de personnes coupent le vent à merveille. Le tour du lac accompli, je grimpe dans le cœur du village pour observer de plus haut les choses. Voir une mosquée enneigée n’était pas naïvement dans mes préjugés visuels. Occidental, on s’attend rarement à entendre l’appel du muezzin se perdre parmi les conifères et entre des flancs de montagnes qui font caisse de résonance. N’en déplaise à l’autre con suisse Oskar Freysinger, cette religion a coulé partout comme la nôtre, la sienne, qu’importe le climat et le relief. L’histoire parle avant le nationalisme.

Ce soir, je constate à la télévision qu’il se passe quelques choses dans le Monde que je ne capte pas précisément. « Berlusconi Güle Gûle », des drapeaux turcs brûlés dans des rues, le président des Etats-Unis, le portrait du terroriste du PKK abattu dans une bateau. Le Monde vit partout, dans chaque village mais sans contexte, sans profonde explication et implication, sans aucun sens. Je déteste la télévision et les raccourcis qu’elle synthétise. <

 

asm2

asm

13 novembre 2011

La ville de Trabzon

> Trabzon est un port dont le charme ne vient que de son relief et de son allure maritimo-industrielle. Je me remémore Vigo en bout de terre galicienne. Le bord de mer est morne. On voit quelques vielles pierres, mais c’est une ville chaotique et dont il faut essayer de capter le bien-vivre. Les deux vallées franchies, sans les rivières d’ailleurs, les remparts observés de l’autre côté du pont aux halos classieux, les bâtiments religieux reconnus, le bazaar et l’imposant marché couvert parcourus, la rue principale commerçante semblable à toutes celles du Monde empruntée, j’opte pour un café turc. Pendant que j’écris, j’entends ces expressions et ce ton que j’ai toujours du mal à interpréter. Trabzon l’urbaine, une ville de plus. J’ai trouvé mon cap : la neige gagne du terrain, mais là où je vais, il semblerait que le tourisme l’emporte.

Qu’est-il devenue de Trébizonde, cette carte postale en sépia d’une ville de bord de mer avec sa cathédrale et son grand hôtel grecs ? Le développement que j’accuse n’est pas né de l’expulsion grecque mais de l’incessante économie nécessaire à la transformation et surtout à la candidature au podium de la modernité. Le prix à payer partout, c’est l’abattage massif des vieilleries, la construction de voies suffisamment larges pour les camions, l’empilement rapide des familles, le saupoudrage de centres commerciaux de ci de là. Une particularité me fascine : deux sortes de ponts à quatre voies qui traversent et déchirent le cœur de la ville. Après un bon pide, je désire une bière que je réussis à consommer dans un bar rempli de mecs qui ont trouvé un endroit pour fumer et boire au chaud, logé au premier étage d'un immeuble à l’abri des regards. La fumée nous enveloppe jusqu’à ce que chacun décide de renter chez soi. Chambre 304, je m'enfonce dans le lit, la télévision allumée, les rideaux à peine clos. <

13 novembre 2011

Le monastère byzantin

> Le début de la route est plutôt repoussant, mais la musique traditionnelle locale diffusé dans le minibus pour satisfaire les curieux embarqués me berce. Le trajet réveille l’appétit. Puis, Eyce Tour nous lâche comme des fauves au pied de la montagne/falaise où se niche le monastère de Sumela à environ 1200 mètres d’altitude. L’aller d’environ 40 kilomètres m’a fait pensé aux trajets dans les fonds de vallées alpines industrielles et sauvages. Une rupture anthropo-naturelle qu’il faut toujours franchir pour arriver dans une zone intermédiaire, celle qui intéresse chaque ministère de la culture, chaque publicitaire national et qui, il est vrai, se trompent rarement. Panorama tourmenté des Alpes pontiques, conifères en pagaille couverts de neige, hérissés sur des sommets aiguisés brumeux et blancs, ciel bas, reliefs assez hauts à savoir qu’on part du niveau 0 de la mer Noire. Plus de turcs que de japonais, d’anglais ou de français. Tout ce petit monde se disperse et grimpe à sa propre vitesse le chemin glissant et difficile dans un paysage grandiose rendu silencieux par la chape neigeuse.

Le profil de l’aqueduc de 1846 annonce l’arrivée. Sümela Manastırı est dans un sale état - on ne peut voir que les parties communes, le reste semble en restauration -, mais resplendit encore. Ses fresques bibliques du 14e et 18e siècles rayonnent malgré les saccages et les graffitis contemporains. L’église creusée dans la roche crâne toujours. Plus aucun mobilier, plus rien, alors que l’édifice qui a connu son apogée sous l’Empire de Trébizonde n’a été abandonné qu’en 1926. D’où voir le fameux visage médiéval du monastère : les fenêtres de ses 72 cellules qui ornent la façade ? D’en bas, de côté et en venant par ses propres moyens ? Le nid monacal, haut lieu de pèlerinage respecté et protégé par les Sultans, apparaît en surplomb quand on se détourne de la cabane aux produits dérivés et du café. Juste en face, sur le belvédère des bungalows, on revoit ce bâtiment qui trône collé à son socle de pierre parmi les sapins et qui depuis presque quinze siècles, se détache chaque hiver du brouillard nomade, du lourd manteau neigeux et résiste chaque été aux hordes touristiques. Les moines sont partis, ils ont laissé derrière eux leur plus bel héritage : le contemplatif. <

asm

asm

Publicité
12 novembre 2011

Le port de Trabzon

> Chambre 304. J’y suis finalement arrivé par la route 010 qui longe les rives de la mer Noire, notamment les façades balnéaires d’Ordu et Giresun. Leur spectre apparut vers 16h30 à la tombée de la nuit. 480 kilomètres plus loin, la température s’est nettement réduite, la neige et le givre ont gagné du terrain à partir des reliefs de Samsun et dont je n’ai vu que l’otogar et l’avenue de la mer. Une ville énorme encore, grise mais chatouillée par quelques touches de couleurs habituelles. Il pleut en bordure maritime. Je crois que j’ai bien fait de ne pas m’arrêter avant Trabzon. J’arrive tard devant l’Hôtel Anil, je me rassasie après une douche bien chaude deux rues plus loin. Dégustation d’un sutlaç, riz au lait saupoudré de noisettes concassées récoltées dans la région. En rentrant, l’identité de la cité se confirme : quatre Natacha embarquent en voiture. Je suis dans le quartier du port, avec ses buffets, ses bars, ses hommes et ses putes. Je fume une cigarette sur le trottoir non loin d’une zone militaire. Le panorama nocturne souligne les traits caricaturaux du site : de longs entrepôts, des cargos à quai ou au mouillage, des verticalités industrielles, des phares sans discontinuer sur la corniche et dans les petites ruelles attenantes, de temps en temps les lumières d’un avion en phase d’atterrissage, le tout agrémenté d’une ambiance sonore rythmée par les ouvertures de portes des lieux de perdition encore ouverts. Je m'enfonce dans le lit, la télévision allumée, les rideaux à peine clos, je veux retrouver le Monde. <

49726060

68224203

12 novembre 2011

Les rois du Pont

> C’est un plan galère comme il se doit. Le bus est arrivé un peu trop tôt pendant que la nuit et le froid régnaient encore. Aucune visibilité sur mes deux prochaines heures, sinon arpenter la ville qui se dévoile charmante. Je marche le long de la rivière Yeşilırmak pour réfléchir et me réchauffer, le sac sur le dos, les mains dans les poches, mon écharpe noire remontée jusqu’au-dessous du nez. Je devine une couverture blanche sur les montagnes, sans identifier s’il s’agit de roches ou véritablement de neige. Les tombes des rois du Pont sont encore illuminées, les nuages laissent passer les dernières lueurs de la lune et des étoiles. Au retour de la gare ferroviaire que je trouve fermée, la promenade n’ayant pas servi à avancer sur mon planning, je tombe sur un « simit center » ouvert en bordure du centre historique. Je consomme du thé chaud et du miel pour ma gorge salement atteinte. Les vendeurs tentent de communiquer étant donné que je squatte plus d’une heure chez eux. On observe une pluie de flocons. Puis le ciel redevient bleu. Amasya aurait presque un air d’Annecy.

Foutu plan, quand on commence un truc foireux, bien sûr il ne s’arrête pas avec les premiers rayons de soleil. Comment repartir ? J’ai la solution de rejoindre Samsun, de visiter Ordu et Giresun, sans savoir ce que ça peut valoir. Je piétine plusieurs fois la place principale du coin entre les trois agences de bus pour planifier le départ en dépit de l’immobilité qui semble m’engluer ici pour cette nuit, en n’oubliant jamais de fumer pour faire passer le temps plus vite. Il y a finalement toujours une solution avec cet incroyable réseau turc et au pire j’aurais peut-être tenté le train. Direction Samsun et de là-bas, paraît-il, les bus ne seront pas complets pour Trabzon. Enfin débarrassé de mon sac à dos, billet en poche et prochaine destination connue, je m’égare sur la gauche et franchit le pont pour la rive droite. Le site est beau, paré de ses vieilles histoires et de ses deux flancs de montagnes qui la protègent et la glacent. Vue d’en haut, rien n’est si grand. N me manque.

Amasya offre de biens beaux récits et témoignages. Strabon y est né en 53 avant notre ère, puis est parti étudier à Nyssa. Il y reviendra avant sa mort. Les tombeaux des rois du Pont (4e et 3e siècles avant notre ère) sont creusés à même la falaise sur la rive gauche – quartier des konak –, dernière demeures de ces puissants opposants à l’Empire romain. Même morts, on les voyait toujours de la vallée, ils dominaient encore et de nos jours, ils veillent sur les voyageurs arrivés au petit matin. Capitale à cette époque, les turcs seldjoukides s’en rendent maîtres aux 11e-12e siècles, période de la medersa bleue (1266). Le rattachement à l’Empire ottoman a lieu en 1392. La déclaration de guerre d’Indépendance est proclamée ici en 1919 par Atatürk. <

asm

asm

12 novembre 2011

Ankara (otogar)

> L’agitation des perrons où les passagers transportent sans vraiment faire attention leurs valises, leurs sacs d’aliments. Je ne ressens pas vraiment du stress, seulement une agitation normée et périodique. Planète football ce soir, les gens patientent en troupeaux devant les écrans : Turquie 0 – HRV 3. Hier, deux adolescents m’ont capturé en photo dans la cour de la mosquée Köprülü et m’ont évidemment parlé dès qu’ils ont compris mon origine des joueurs français les plus connus et que je ne connais pas. Je fais mine dans ces moments là pour avoir l’air de partager quelque chose, puisque le sujet est universel et unioniste. Et ça ne me pèse pas de mentir quand je vois face à moi des yeux malicieux, quand je devine des risques linguistiques osés, car tout cela est le sens même de la conversation. Je repense aux deux statues de célébrités que j’ai croisé dans des petits centres-villes, la première en hommage à ce rockeur, la deuxième en hommage à la chanteuse lyrique Leyla Gencer (1928-2008), la « diva Turca » comme ils disent. <

ank

11 novembre 2011

Safranbolu (Kıranköy)

> Au pied du mur du hammam Cinci, je reviens pour goûter au gözleme (ispanak) qui s’avère être nettement meilleur que celui d’İstanbul. A la même adresse, je mangeais hier au soir des manti après une soupe (mercemek çorba). Le soleil perce enfin, les maisons blanches vont s’éclairer différemment, les pierres ocres et les bois se réchauffer. Les Français ne sont pas fréquents dans la région. Selon les habitants, on trouverait plus souvent des Japonais et des Anglais. Il est vrai que pour le moment mes compagnons de voyage sont de jeunes japonais partis un an ou six mois pour découvrir « L’Europe ». Et oui, ils disent l’Europe. J’erre une dernière fois dans les mêmes ruelles qu’hier, je prends le temps sur chaque pavé. On n’est pas si souvent à portée du keyif. La vue depuis Hıdırlık Tepesi rend compte de ce qu’on a parcouru. Suivent les dérapages vers le musée, les hésitations entre la mosquée, les boutiques à lokum et à conneries touristiques, les tentatives de dénicher des artefacts inédits qui pourraient plaire ou me plaire à offrir. Invité dans un minuscule local par un vieux qui se dirait en français « antiquaire », je sirote un thé et tente de discuter. Je m’échappe pour fumer une cigarette et retrouve les deux ruelles du marché au cuir. Un ou deux thés plus tard, un café turc en plus, poussé par l’envie d’avancer et de parcourir la nuit venue quelques centaines de kilomètres avec l’appétit de Gargantua, je décide de partir sur Amasya via Ankara à 19:15, et non par Merzifon comme je l’aurais souhaité. Une touriste japonaise adepte des grands voyages me prévient qu’un nouveau séisme a touché Van et qu’il est fortement déconseillé de s’y rendre. J’essaie d’apprendre le turc un peu plus chaque journée. J’ai soif de prendre la route, les routes. J’aime probablement plus que je ne le dis les surprises et les imprévus que cela crée et auxquels il faut faire face. <

11 novembre 2011

Yorük Kölü

> Grise matinée. Les brumes matinales ou les nuages qui recouvrent les reliefs et ensevelissent les fonds de vallée influent sur l’ambiance humaine. Froid et humidité, rien ne vaut cette addition pour mieux apprécier les petites loupiotes qui éclairent nos pas le soir venu, les vitrines bien mises en valeur, les fumées opaques s’échappant des cheminées et des conduits de poêles, les tuiles rouges qui intègrent un peu de couleur à ce paysage mélancolique. Dans ces climats, on aime autant le « chez soi » des autres que le sien. Pourquoi écrire ? La solitude ouvre autant de portes qu’elle pèse sur les muscles du visage. Ne pas parler est parfois compliqué pour celui qui découvre, emmagasine et ne partage que très peu.

Passage le long des reliefs – la carte se déchire de jour en jour –, pour arriver à Yorük Köyü vers 10:50, quatorze kilomètres plein est en dolmuş. Pas un chat (au sens figuré comme au sens propre), je reviens sur mes pas visiter le cimetière musulman quand retentit du village l’appel à la prière que j’avais pratiquement oublié depuis mon arrivée (serait-ce à cause de Bayram ?). La visite tranquille du village dure une heure et demi, en silence et en effet, le site est tout aussi marquant que Safranbolu, l’inscription de l’UNESCO en moins. Les vieux animent quand même le village dont les konak du 16e siècle sont parfois très ruinés, au bord de l’oubli. Les vieux se retrouvent au pied de la mosquée pour un thé. L’un d’eux en retard se hâte sur les pierres glissantes. Pendant que j’attends le bus, une vielle s’occupe à m’observer de son premier étage, déplaçant de temps en temps le petit rideau brodé de la fenêtre. Les volets sont d’une esthétique astucieuse frappante, je l’ai découvert en me couchant hier soir assez tôt et je le détaille ce jour. Alors que je m’immobilise pour admirer un écureuil perché sur la vieille poutre vermoulue d’une maison, une vieille dame s’intéresse à ma présence et souhaite échanger deux ou trois mots. On regarde ensemble l’animal, un sinjap. Naïveté des rencontres. La pluie, le beau temps, les conversations essentielles dont on se moque au quotidien, ont une tout autre portée ailleurs. Yorük Köyü n’est pas encore assez connue, le prix des taxis trop prohibitifs, mais le bus à ne pas rater n’est pas à portée de tous… Alors heureusement, une voiture KARGO PTT arrive pendant que je m’avance sur le goudron suintant vers la grande route 030 prêt à faire du stop. Le chauffeur me récupère, m’indique l’arrêt que j’ai manqué, mais me raccompagne gentiment au point de départ de 10h30. Le contour est de Safranbolu, la pluie soufflée et le bleuté qui réapparaît. <

68224203bis

68224203ter

10 novembre 2011

Safranbolu, l'ottomane

> Manger dehors est un peu osé, mais il faut dire que les ruelles pavées et glissantes de Safranbolu sont coquettes et chaleureuses et qu’on a envie de s’y appesantir. La faute aux vitrines des échoppes, aux ampoules qui pendent de n’importe où et des poutrelles en bois qui consolident chaque parcelle. Aucune déception depuis mon départ d’Amasra. Il a simplement fallu reprendre la direction de Karabük, puis de là, se faire déposer avant Kıranköy, la ville moderne, dans le fond de vallée où la route dessine un lacet géométriquement parfait. Malgré l’indication du chauffeur et les panneaux, mon hésitation grandit proportionnellement à l’humidité ambiante, pourtant à en juger les pavés, je dois bien me diriger vers Çarşı, le centre historique de cette cité ! N. m’a appris à demander, chose que je fais avec mon accent incompréhensible. Ces premières rues sont bien tristes par rapport aux descriptions que j’en ai eues. J’ai fini de grimper et me voilà en train de redescendre. Plus bas, apparaît la vieille ville. A la recherche d’un lit pour la nuit, je découvre donc le konak, grande maison de l’architecture ottomane classique (la première pension est assez bluffante d’ailleurs) et les premières silhouettes de la ville. Plutôt petite, recroquevillée sur elle-même, l’idée habituelle est de repérer les points et les axes majeurs qui se répartissent au bon vouloir du relief.

La pluie entre en jeu. Il fait froid, mais pour le moment, c’est encore supportable. J’imagine que la fréquentation estivale doit considérablement changer l’impression qu’on se fait du site. Malgré la pesanteur du gris, la saison est belle : les feuilles rougies et jaunies commencent à tomber, et que ce soit ici comme dans certains quartiers d’İstanbul, les branches qui habillent les rues, indispensables en été, sont encore globalement parées. Elles épousent les murs et les poutres comme la nature arrive si bien à le faire. Les maisons sont donc typiquement ottomanes, du temps où le bois abondait et se travaillait tellement pour qu’on en use dans tous les endroits, tous les royaumes et empires fournis. Murs de pisé à encorbellement, rez-de-chaussée presque aveugles pour éviter d’être vu, le premier étage pour les femmes qu’on nomme haremlık, le deuxième étage pour les hommes baptisé selamlık et divers espaces et aménagements selon les fortunes, voilà l’organisation spatiale d’un konak.

Ce voyage, périple plutôt long et sinueux quand je le prévois au jour le jour sur la carte, sera plus urbain, à considérer les haltes et les promenades à pied. Mais la boucle semble belle à oser dessiner. Safranbolu a le charmes des villes fortement fréquentées, puis oubliées jusqu’au moment de la reconnaissance de son intérêt culturel (et économique). Partout, la présence du bois donne cette chaleur au lieu qui atteint sa plus belle résonance quand on traverse Yemeniciler Arastası, le marché au cuir et sa cinquantaine d'échoppes fermées pour l'heure. <

72810412

49726060

10 novembre 2011

La mer Noire

> Halte à Karabük, sans le savoir je suis passé près des 2000 mètres d’altitude de Yedigöller Milli Parkı, il faut changer de bus en fin de nuit légèrement pluvieuse. Comme d’habitude, je me blottis tant que je peux dans mon siège, je m’acclimate en observant mes compagnons de route, je branche le mini-jack dans mon téléphone et je sélectionne l’option aléatoire, je regarde le défilement des choses qui m’endort. A chaque arrêt, j’essaie de me motiver pour sortir ou je me presse d’aller aux toilettes. Parfois, la cigarette qui réchauffe est malvenue. Les uns boivent du thé, les autres discutent dans ces nuits qu’on s’offre en se payant le luxe de parcourir et de ne pas rester à sa place.

Ce matin, vu l’heure, j’ai opté pour Bartın et les rives de la mer Noire avant de revenir sur mes pas dans la journée pour Safranbolu. Première connerie avec ce taxi que je paie pour revenir de l’otogar vers le centre, ça me coûte un bras et heureusement j’évite à temps d'être déposé au port industriel comme je l’avais fait comprendre sans m’en rendre compte. Le jour est levé, les nuages sont bas, ce sont ces reliefs environnants qui captent et gardent précieusement ces masses dépressionnaires venues du Nord. Errance dans la ville trempée et grisâtre, un dolmuş m’éclabousse copieusement en passant dans la rue, il n’y a pas grand chose à faire, je cherche à manger, rien ne me va. Rendu à la place « intermodale », je décide de filer sur Asmara avec un estomac qui attendra. Le paysage se ranime progressivement, les couleurs automnales se dégagent de la grisaille, les reliefs s’arrondissent et j’arrive dans ce petit port de 6500 âmes coiffé par une citadelle. Voilà la mer Noire. Le soleil perce gentiment et m’encourage à déjeuner dehors sur la terrasse d’une gargote installée sur la plage. Entre les barques des pêcheurs amarrées et Toby le vieux berger allemand enchaîné, j’essaie de changer mon moral englué de nuit, de pluie et de gris. Il me semble plus difficile de me faire comprendre.

Le petit port prisé des Stambouliotes est tranquille. Depuis la citadelle, des portions de panoramas apparaissent de ci de là. Une vieille église byzantine transformée en mosquée, des vieux qui me sourient en remplissant leur bidon d’eau potable distribuée au cul d’un camion citerne. Je redescends sur le port de l’autre côté, vers la digue pour respirer cet iode inconnu, découvrir la forme des rochers, le goût de la mer, les îles, la couleur de l’eau, reconnaître un métier de pêcheur bien hérité. Bartın est une halte obligée, Asmara est une mignonne petite perle, d’autant plus que je me sens seul, sise sur une sorte de presqu’île, entourée par l’eau et agrémentée de petits spots au goût balnéaire. Je repars en dolmuş avec une question en tête. Quelle est donc cette personnalité statufiée que j’ai croisée ? Barış Akarsu (1979-2007), un enfant du pays qui s’est fait connaître par la Akademi Türkiye, guitariste rock devenu acteur juste avant de mourir à la suite d’un accident de voiture. Tamam. <

68224203

68224203

9 novembre 2011

İstanbul (otogar)

> J’ai une nouvelle vision de la fourmillante mégalopole : Beşiktaş, à quelques enjambées de Taksim. On s’échappe furtivement de l’appartement de Cihat, la femme de ménage nous fait un sourire, qui m’a semblé bien sincère. L’ascenseur sans grille nous avale une dernière fois, ses dix touches à diode rouge, sa vétusté qui le fait s’arrêter entre deux étages quand il monte. Au moment de laisser la lourde porte en fer se claquer, je revois le portrait photographique édité des centaines de fois d’Atatürk. Le taxi illégal est là, le type sort nonchalamment, prend la valise de N., je pose mon sac dans son coffre. Je me fous devant et on part en direction du nord de la Corne d’Or et je découvre une avenue pentue que je n’avais jamais localisée. Elle me semble large, habitée de grands arbres et parées de boutiques de chaque côté. Des files de voitures garées, plusieurs décrochent et s’insèrent justement dans la vôtre. N. a discuté deux ou trois fois, il a répondu. Et le Bosphore nous avale lui aussi quand on redescend vers le quartier de Beşiktaş pour à peine 20 YTL. La visite éclair permet un dernier petit-déjeuner dans une rue piétonne aux accents inconnus. Les façades aux ravalements plutôt récents sont escaladées par des escaliers en colimaçon de différentes couleurs, mais toujours bien associées. Le sachet d’arachides enrobées acheté vingt mètre plus tôt ne peut suffire, on a super faim. Kurulus 1895 : d’abord les sourires d’une grand-mère qui nettoie ce bout de table carrée, ensuite l’hospitalité simple et pure du grand-père. Il se remémore les formules de politesse française à mesure qu’il sert, qu’il débarrasse, qu’il ressert et qu’il rend la monnaie. A côté, nous pivotons au niveau des halles aussi charmantes que « design » sous une dentelle de verdure et nous optons pour un dernier café turc. L’endroit que je découvre à ce moment précis me rappelle Kadiköy quand je l’ai quitté pour le même aéroport, une affection toute similaire. On revoit Simge dans sa nouvelle vie – douce piqûre de rappel un an et demi plus tard –, dans son nouvel appartement, parquet clair au sol, salon positionné vers le mur vitré. Juste le temps de se dire qu’on aurait bien fait une soirée ici, un taxi nous mange et nous monte à Taksim. On attend la navette à plusieurs, le trafic est intense et l’heure tourne. N. reçoit un appel lui disant que son père a un problème de santé, qu’il est à l’hôpital, mais que ça va quand même. Un taxi nous propose de faire la course, ce sera le même prix si on est quatre, et ce sera plus rapide. En effet, je sors de cette bagnole assez vite pour ne pas être obligé de dire « stop ». Le chauffeur a foutu un putain de parfum à je ne sais quelle épice qui me donne envie de tousser et chauffe ma tête. N. reprend demain son job de « marketing manager ».

Je me retrouve seul sans être sûr d’avoir dit ce qu’il fallait dire. Le couteau récupéré auprès du policier  hyper-compréhensif de l’aéroport, le sac sur l’épaule, je pars en direction du sous-sol (métro YusufPaşa) et retourne à l’air libre de la nuit (tramway Sultanahmet) pour un dernier clin d’œil à Eminönü qui aura marqué ma vie depuis l’année 2007. Le petit bar à thé en fond de cour  a disparu, le truc à touriste qui ne le faisait pas. La ville s’est incroyablement vidée depuis hier, fin des vacances oblige. Je prends le temps entre la bosse et le fleuve, il traîne quelques personnes comme moi, inoccupées, errantes. Je reprend les rues inquiétantes du bazaar quand la nuit venue, les rayons de la lune ont peine à atteindre le sol et que chaque ombre peut être suspectée d’être un démon, un vieux ou un travailleur. Je cherche un endroit pour manger, hésite à côté des vendeurs ambulants et en profite pour mémoriser les illuminations réciproques entre l’eau et la ville. La grande mosquée que les fumées des grillades voilent parce que chaque jour depuis des millénaires, le vent de la mer souffle dans ce sens. Il est 23h00, ma première nuit dans un bus en direction de Safranbolu commence maintenant. Quarante minutes plus tard, je suis toujours à İstanbul. Les gratte-ciels modernes sont les sièges de fameuses enseignes internationales et locales, des allures aussi has been que celles de La Défense. Sans rien capter ou même localiser de la zone où le bus nous embarque (en face de Yalova, sans doute), on devine des centres commerciaux énormes, des gigantesques mosquées en construction – la foi côtoie la contemporanéité ici, dans d’autres pays elle est patrimoniale –, des tours de palais illuminés de néons. Tout cela en bordure d’un port industriel, rempli de containers qui seront vidés par les camions remorques en faction.  İstanbul est énorme. Son trafic incessant est un combat permanent de fréquences de rouge et jaune contre néons multicolores de boutiques et projecteurs pâles de minarets. Quelques heures plus tard, j’ai corrigé mon point de vue : je me retrouve seul en étant sûr de ne pas avoir dit ce qu’il fallait dire.  <

68224203

68224203

8 novembre 2011

İstanbul (Bosphorus)

> Premier lever digne de ce nom dont la raison et la conséquence seront une promenade en bateau, celle déjà appréciée auparavant. Eminönü pour le petit-déjeuner presque raté et puis le départ. La fatigue se joue de nous. Le temps également. Le climat différencie nos origines, évidemment. Ce fleuve est un spectacle à lui tout seul, des hordes de bateaux, des klaxons, la fumée noire, les sillages qui se croisent, tout cela fascine toujours autant. Les maisons du bord, toutes plus séduisantes que les autres, transforment tous les passagers en paparazzi envieux et contemplatifs. On se loupe sur la halte à Kanlıca et on descend à Sariyer. Dommage, qu’est-ce qu’on fait comme erreur en ce moment. Mais se planter fait partie intégrante de mes voyages, je suis habitué, je suis le seul à l’être. Retour à Eminönü, je nous entraîne en dernier espoir vers le marché aux poissons et cette nouvelle pause réchauffe les cœurs, pas le reste. Le restaurant est bondé, nous fleurtons avec le fleuve et l’air frais, nous dînons faiblement éclairés par les ampoules, la musique est moins forte que les voix de nos voisins. C’est le moment pour apprécier les poissons morts et cuits pour nous. Le rakı est de rigueur, le sourire de N. qui ne l’était pas me comble. A peine rejoint, on file pour retrouver des amis au pied de la tour Galata.

L’idée est simple, sociale et urbaine, mais glaciale. Chaque coin de rue dispose de son épicerie [quand Allah est grand, les chiens aboient]. On file chercher des bières, les clopes et on se pose dehors sur un banc, sur un coin de muret pour discuter en sirotant la canette à peine ouverte et pendant ce temps, des quadrupèdes se faufilent entre les jambes de chacun. Ils ne sont pas domestiqués, ils ont conservés leur instinct sauvage, mais ils se sont acclimatés à notre folle présence, automobile et piétonne, indifférente ou attendrie. On aime prendre son temps n’importe où et même quand il fait froid. Les rendez-vous turcs laissent la plupart du temps des reliefs à même le sol, qu’on condamne et qu’on accepte comme partout. Pour ma part, je fonce vers la poubelle et pour eux, ce sera à la personne payée de ramasser nos déchets. Direction la zone ultra fréquentée de Taksim. Bar à étage avec une terrasse à peine ouverte pour alléger légèrement l’atmosphère qu’on enfume presque tous sans exception. Nicolas Jaar prône en référence musicale… On fume, on refume et au 3e étage la musique électro se joue fort. Je sens bien que quelque chose m’échappe, je sens bien que c’est la vie, je sens bien que je devrais en parler.  <

68224203

68224203

7 novembre 2011

İstanbul (Kadiköy)

> Difficile de tenir un vrai programme lorsqu'on se couche dans la nuit et qu'on loge à environ une heure et demi du poumon, la tripartite Fatih-Beyoğlu-Üsküdar. Le retour à Kadiköy, presque deux années après, semble plus important que je ne pouvais le penser. Ce quartier est définitivement ma place préférée. Avec N., on retrouve les rues montantes qui grouillent en cette fin d'après-midi, les couleurs qui combattent entre elles, les chatoyantes contre les blafardes, on meurt de faim et nous revoilà dans ce kebap familial aux mets délicieux qu'on avait déjà appréciés dans un emploi du temps plus serré. Je repense à cette toute première journée agitée/agitante en retrouvant le café dans la ruelle proche des épiciers qui haranguent, qui servent et savent encore s’esclaffer. C'étaot là pour la deuxième fois dans ma vie qu'on lisait dans ma tasse quelques bribes de vie. Il y avait eu au bout de la rue Saint-Jean à Lyon et cette fois. Et le bar qu'il faut retrouver coûte que coûte. L’adresse éternelle qu’on a quand même perdue, la place banale pour tous et géniale pour nous. Même esprit, même magie. Pour en être sûr, on reconnaît Connan Mockasin, PandaBear et Wooden Shjips. Cela me semble aussi hallucinant que normal, cela me semble être chez moi et chez nous. Dans nos plans foireux, dans mes directions aléatoires, il y a toujours du bon. A 20h40, le bateau nous ramène vers Karaköy. Ressaisis, nous glissons sur la pente par le vieux funiculaire qui nous tire vers l'aire de jeu de Taksim. Cihat nous fait découvrir le quartier chic et rajeuni de Cihangir. Les rues bourgeoises et paisibles s’abritent sous des feuillages encore touffus. Les fenêtres éclairées donnent tout simplement envie d’y être, seul ou avec ses amis. Les immeubles sont sobres, mais ont une histoire bien à eux. Je doute pouvoir y habiter un jour, comme je me le disais quand je parcourais les rues du Marais parisien en 1997. Mais je m’y verrais bien un temps, le temps de considérer que ces trottoirs sont autant les miens que les leurs. <

68224203

68224203

7 novembre 2011

İstanbul (Ortaköy)

> Considérant que nous ne sommes qu’en week-end, considérant que nous sommes des putains d’ours fainéants, on émerge au zénith, chauffés à blanc par le soleil que filtrent à peine les rideaux coulissants. Les cargos mouillent toujours en face de notre immeuble M1. On se fait un traditionnel (petit)-déjeuner pour finir sur un café turc assaisonné d’un joint. Malgré cela, l’option pour rejoindre l’épicentre est mieux définie : on doit longer les voies ennuyeuses qui bordent le Sheraton pour atteindre l’embarcadère de Bakırköy. C’était là même qu’on avait attendu tels deux animaux d’une espèce différente, mais résidant la même terre, silencieux et curieux, timides et fébriles, le bateau pour Kadiköy – gros catamaran moderne et nettement moins sympathique que les navettes qu’on trouve dans le centre. Depuis ce côté, la traversée est plus longue et j’imagine qu’un bâtiment plus sûr est requis. Une fois les statues des dauphins retrouvées, on file pour un transfert vers Beşiktaş. De là, on marche en direction d’Ortaköy. Le long de l’université de Galatasaray, la vie d’Atatürk défile sur un mur commémorant les grandes dates de son action et de son parcours. Le nôtre est plus intime. Je veux revoir le site, ce tatouage en 3D. Revoilà la petite zone animée, mais le comble, c’est qu’on se retrouve au pied d’un échafaudage maquillé de toiles imprimées et qui recouvre entièrement l’édifice. Il n’y a plus qu’à regarder le pont illuminé, le trait d’union continentale, les ballons gonflés qui servent de cibles aux plombs des carabines, les gargotes à kumpir. Quelques minutes après, en attendant le bus, un chien boiteux désireux de traverser décide devant la conduite folle locale de ne pas s’y risquer et s’écroule à nos pieds. Nous finissons par grimper la colline qui longe le stade et nous voilà une fois encore catapultés dans la tonitruante avenue. Il est tard, tous les magasins avalent et dégueulent leurs clients. Les petites charrettes rouges proposent spécialités automnales derrière un léger écran de fumée : marrons, maïs, arachides. Les jeunes se saoulent gentiment, les femmes parfois intégralement voilées côtoient les cocottes apprêtées. Tout ce petit monde vit ensemble, sans sourciller, sans y voir un quelconque exotisme ou un cosmopolitisme fragile. <

68224203

72810412

6 novembre 2011

İstanbul (Bakırköy)

> İstanbul, énorme et incompréhensible. La dernière fois que j'avais ressenti cette démesure, c'était lors de mon arrivée d'Athènes sur le périphérique en approche de l'otogar. Ensuite, plongé dans le coeur, j'avais oublié le reste, comme la longueur des itinéraires, la multiplicité des modes de transport, la rapidité du temps qu'on dirait perdu chez soi. C'est par nostalgie égoïste que je refoule les rues de Sultanhamet, que j'appuie plus sur mes talons pendant la descente le long du bazaar qui s'éteint progressivement vers l'horizon de cannes à pêches du pont de Galata. Le bus nous lâche à Taksim à la recherche, dans un brouhaha et une foule compacte, d'une table dans Beyoğlu. L'avenue de l'Indépendance, İstiklal Caddesi, renvoie ses enseignes lumineuses modernes dont le contenu est accessible tard le soir. Retrouvailles encore avec les terrasses de Nevizade Sokak encore accrochées au bitume malgré les arrêtés municipaux qui asphyxient la vie nocturne locale. Le nom du meyhane ne vaut pas la peine d’être retenu, mais le cœur bat vite dans cet endroit, au même rythme des décibels qui s’échappent des ruelles alentours. Pause finale dans le passage des fleurs, Çiçek Pasajı, bien coupés du reste du monde par l'harmonie classique du 19e siècle. Le trajet en minibus me fait mieux comprendre les choses en volume et dans l'espace : nous quittons Taksim par un boulevard en corniche dont le panorama force l'admiration, Tarlabaşı Bulvarı qui dégouline sur Atatürk Kpr. alors qu'au bout, les vestiges de l'aqueduc romain sont prêt à engloutir des files de voitures noctambules. En pleine nuit, la silhouette d'İstanbul se dessine superbement avec ses pointes lumineuses par dizaine qui piquent le ciel entre Eminönü et Fatih, le long de la Corne d'Or. Plus loin sous un pont, on vend encore des vélos et des pneus. Nous passons les derniers kilomètres où gisent encore des vieilles pierres antiques parmi les murs des restaurants, les bars et les immeubles de banlieues... İstanbul la grande. <

68224203

68224203

5 novembre 2011

İstanbul (Ataköy)

> C'est déjà la fin de journée que la lumière rasante annonce. Quinze cargos mouillent au bout du Bosphore et en mer de Marmara en apaisant l'ambiance bruyante du trafic incessant, loin des sentiers plus esthétiques. Sous le ciel inviolé et pur, je découvre le bord ouest de la ville avec N.. <

4 novembre 2011

Aéroport CDG

> Sac à dos de vingt kilogrammes étiqueté, vérification douanière et sécuritaire effectuée, je prends doucement la mesure des choses. Le voyage commence maintenant. Pas encore d'informations précises pour mon arrivée de l'autre côté de la frontière dite "européenne", peut-être Beşiktaş... Deuxième année consécutive en Turquie : il faut d'abord remettre les pieds sur les trottoirs d'İstanbul, ville d'un point de départ un peu fou. A cette heure, le G20 n'a sûrement rien changé à l'histoire, la Grèce est curieusement autant éloignée de la dorsale européenne que l'est la Turquie occidentale, le monde musulman inquiète toujours à considérer le numéro spécial de Charlie Hebdo plié en deux dans mon bagage à main, le sang étudiant vitalise les nuits rennaises, Paris grouille, se remplit et se vide de vagues humaines, la marée descend sur la plage du Sillon. Y-a-t-il un événement plus mémorable qu'un autre ? Une surprise à attendre lorsque dans trois semaines, je présenterai à nouveau mon passeport ? <

30 novembre 2010

Antalya (Havalimanı)

> Après le keyif, je suis allé zoner sur la place que j'avais aperçue la veille en voiture. En haut de la marina en direction de Kemer, retour par les petites rues du vieux Antalya. Errances commerciales, pause déjeuner dans une cour comme il y en a tant là-bas et tavla, dîner chez Seçil et Tolga... A 5h30, les coqs se réveillent en chantant et à 5h45, sous ma douche chaude, j'entends une dernière fois l'appel à la prière qui finit par faire taire les chiens en effervescence une bonne partie de la nuit dans ce quartier. Le soleil pointe doucement à l'Est. Dernier aller en Clio sur les pavés, direction l'aéroport, terminal domestique. En terrasse du café, le corps serré, contraint tandis que le lever du jour colore cette dernière entrevue avec N. Le temps de la remercier et d'enregistrer cet endroit si symbolique. Dernière bouteille d'eau avant le retour dans le froid français.

Mais ce n'est pas le froid climatique qui secoue le plus. C'est le froid du retour et de l"éloignement. Paris -Orly, Denfert-Rochereau, Montparnasse et je ne sais toujours pas si un jour, je la reverrais ici avec moi aussi resplendissante que là-bas. Ce voyage m'a sûrement paru différent des autres, parce qu'il s'agissait de voyages vers quelque part et non pas d'un voyage vers quelqu'un. J'en comprendrais les conséquences bientôt, je crois. L'assimilation nécessite du temps. Il neige en France. <

Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 > >>
Publicité